Rio+20 : “Qu’ils nettoient devant leur porte avant de parler de la planète !”

(Português) (Only in French)

Par Nicolas Bourcier (Rio de Janeiro, correspondant)

Elle prépare le thé avec les pétales des roses qu’elle a cueillies dans le jardin de sa maison. D’un ton calme, Inalva Mendes Brito évoque les souvenirs de ce passé heureux, ces années 1980, lorsqu’elle est venue ici, à Vila Autodromo, une petite favela située au bord du lac Jacarepagua, à l’ouest de Rio de Janeiroconstruiresa maison avec une bande d’amis. Epoque ancienne où, pendant plusieurs années, elle a réussi à vivre de la pêche et du troc de fruits et de légumes.

 

La favela de Vila Autodromo, à Rio de Janeiro, est située à 500 mètres du centre de la conférence onusienne.

“Depuis, tout a été ravagé par la pollution, les eaux infestées par les industries chimiques alentour, les poissons exterminés”, souffle-t-elle. A 65 ans, cette professeure de portugais est devenue l’une des voix de la communauté, une de celles qui montent au front contre les promoteurs immobiliers et industriels peu scrupuleux de l’environnement. “Alors imaginez, dit-elle, avec une pointe d’ironie, nous avons là, aujourd’hui, en face de chez nous, le Sommet Rio+20 qui prétend débattre sur le développement durable.”

Quelque 500 mètres séparent Vila Autodromo du complexe moderne de Rio Centro, pôle principal de la conférence onusienne. Deux mondes si proches et si éloignés, séparés par la voie rapide Salvador-Allende et le bras fétide d’une rivière blanchâtre qui se jette dans le lac. Avec cette odeur pestilentielle qu’Inalva, comme Robson, a fini par ne plus discerner. Vendeur dans un supermarché à 600 reals (231 euros) par mois et jardinier occasionnel, ce jeune homme de 29 ans ditvouloir contribuer à l’amélioration de l’environnement. “Mais je n’en ai pas les moyens”, glisse-t-il.

Vivant seul avec sa mère, Robson ne dispose pas de fosse sceptique, seulement d’un raccordement bringuebalant aux conduites des eaux municipales pour le robinet et la douche. “Le développement durable est une belle idée, mais elle me paraît être que pour les riches. A leurs yeux, nous ne sommes qu’un obstacle à leur développement économique. L’écologie n’est qu’un prétexte.”

SPÉCULATION IMMOBILIÈRE

A Vila Autodromo, comme dans la majorité des communautés, les revendications sont défendues par l’association des habitants. Depuis les années 1990, celle-ci lutte pour éviter les tentatives d’expulsion devenues de plus en plus pressantes en raison de la spéculation immobilière. La pression monte d’un cran, car Rio accueillera les Jeux olympiques en 2016. Les autorités ont prévu la création du parc olympique à la place de l’ancien circuit du Grand Prix automobile situé en bordure de la favela. “Ils ont prétexté que nous ne respections pas les normes environnementales ou encore qu’il fallait un espace de sécurité pour les personnalités sportives… Tous les arguments y sont passés, alors que la moitié des sept cents familles de la communauté possède des titres d’habitation”, souligne Inalva.

Mosaïque de petites habitations en brique et tôle ondulée, mais aussi de logements en dur, le long du lac, où des classes moyennes ont fini par s’installer, Vila Autodromo compte près de 4 000 habitants. Ils ont fait connaître leur combat par Internet, diffusant des vidéos de leurs rencontres tendues avec les autorités. Soutenus par des associations, des avocats et des professeurs d’université, ils ont plusieurs fois fait appel auprès des instances judiciaires afin de bloquer les procédures d’éviction. En vain, pour le moment.

Un contre-projet rendu public en décembre 2011, dessiné par des urbanistes et prévoyant un système d’assainissement des eaux, est resté sans suite.“Comment voulez-vous que Rio+20 nous interpelle ? Ce qui compte, c’est un toit et survivre”, lâche Leonardo, 25 ans et sans emploi. Ailda, assise devant l’entrée d’une des sept églises évangéliques du cru, opine de la tête : “Ils feraient mieux denettoyer devant leur porte avant de parler de la planète.”

DISPARITION TOTALE DES POISSONS

Plus loin, près de l’entrée du quartier où les murs chantaient la gloire du Parti des travailleurs (PT), au pouvoir depuis 2003, Altair Guimares, le président de l’association des habitants, n’en finit plus de rassembler les dossiers dans son bureau en pleine décomposition. “Comment parler de développement durable quand on n’a même pas ici, dans la région, de réseaux sanitaires ? Même les constructions récentes, ces condominiums géants installés autour du lac ne respectent pas les nouvelles réglementations environnementales.”

Derrière, le terrain de foot grillagé est désespérément vide. A cette heure tardive de l’après-midi, les plus jeunes préfèrent jouer sur les ordinateurs posés dehors, face au lac. Seule la petite boulangerie du quartier s’anime avec un groupe de chauffeurs de Rio+20 venus s’acheter de quoi manger à moindre frais.

Au coin, Josefa Oliveira, la cinquantaine, veille sur ses deux clients. Cette ancienne pêcheuse, fille de pêcheur, reconvertie en patronne de café, faitremonter à une dizaine d’années la disparition totale des poissons du lac. Une période, selon elle, lors de laquelle les pêcheurs sont tous tombés malades du foie ou de l’estomac. “Je n’ai jamais eu le temps ni le courage de m’engager contre les pollueurs, admet-elle. Aux dirigeants de faire le travail !”

Mercredi 20 juin, une marche de soutien devait avoir lieu à Vila Autodromo. Josefa Oliveira hésitait à s’y rendre. Elle se sent fatiguée.

Source: Le  Monde

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